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LE CHOC

millions de départs ne représentaient qu’une minorité privilégiée, et c’était à peine si l’on s’apercevait de ces absences, tant les villes et les villages fourmillaient d’humains errants et affolés.

Déjà plusieurs nuits entières avaient été passées sans sommeil, la terreur de l’inconnu ayant tenu toutes les pensées éveillées. Personne n’avait osé se coucher : il semblait qu’on eût dû s’endormir du dernier sommeil et ne plus connaître le charme du réveil. Tous les visages étaient d’une pâleur livide,
les orbites creusées, la chevelure inculte, les yeux hagards, le teint blafard, marqués des empreintes de la plus effroyable angoisse qui eût jamais pesé sur les destinées humaines.

L’air respirable devenait de plus en plus sec et de plus en plus chaud. Nul n’avait songé depuis la veille à réparer par une alimentation quelconque les forces épuisées, et l’estomac, organe si peu oublieux de lui-même, ne réclamait rien. Mais une soif ardente fut le premier effet physiologique de la sécheresse de l’air, et les plus sobres ne purent se soustraire à l’obligation d’essayer de la calmer par tous les moyens possibles, sans y parvenir. La souffrance physique commençait son œuvre et devait bientôt