Page:Flammarion - La Fin du monde, 1894.djvu/339

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
333
EVA

condamnation du destin. Un spectateur indiscret qui l’aurait contemplée ensuite lorsque, debout sur une peau d’ours devant la haute glace réfléchissant son image, elle se mit à tresser sur sa tête les boucles de sa longue chevelure d’un châtain pâle et presque blond, aurait pu voir un sourire effleurer ses lèvres et montrant qu’en ce moment elle oubliait la noire destinée. Elle retrouva dans une autre pièce les sources qui tous les jours précédents lui avaient donné les éléments de l’alimentation moderne, extraits des eaux, de l’air, des plantes et des fruits automatiquement cultivés dans les serres par l’énergie solaire elle-même.

Tout cela marchait encore comme une horloge remontée. Depuis plusieurs milliers d’années, tout le génie des hommes avait été presque exclusivement appliqué à dominer la loi du destin. On avait forcé les dernières eaux à circuler en des canaux intérieurs où l’on avait également forcé la chaleur solaire à descendre. On avait conquis les derniers animaux pour en faire les serviteurs passifs des machines, et les dernières plantes pour développer à l’extrême leurs propriétés nutritives. On avait fini par vivre de rien comme quantité, chaque substance alimentaire nouvellement créée étant complètement assimilable. Les dernières villes humaines étaient des serres ensoleillées, où arrivaient toutes les substances aqueuses nécessaires à l’alimentation, substituées