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LA FIN DU MONDE

aux anciennes productions de la nature. Mais de siècle en siècle il avait été de plus en plus difficile d’obtenir les produits indispensables à la vie. La mine avait fini par s’épuiser. La matière avait été vaincue par l’intelligence, mais le jour était arrivé où l’intelligence elle-même devait être vaincue : tous les travailleurs étaient successivement morts à la peine, la Terre cessant de pouvoir fournir. Il y avait eu là une lutte gigantesque et d’une formidable énergie, du côté de l’homme qui ne voulait pas mourir. Mais les derniers efforts n’avaient pu empêcher l’absorption des eaux par le globe terrestre, et les dernières provisions ménagées par une science qui semblait plus forte que la nature même étaient arrivées à leur limite.

Eva était revenue auprès du corps de sa mère. Elle lui prit encore les mains glacées dans les siennes. Les facultés psychiques des êtres humains des derniers jours avaient acquis, avons-nous dit, une transcendante puissance. Elle songea un instant à évoquer sa mère du sein des ombres. Il lui semblait qu’elle désirait d’elle, sinon une approbation, du moins un conseil. Une idée la dominait mystérieusement, l’obsédait tout en la charmant. Et c’était cette idée seule maintenant qui l’empêchait de désirer une mort immédiate.

Elle voyait de loin la seule âme qui pût répondre à la sienne. Depuis sa naissance, aucun homme n’avait existé dans les tribus dont elle