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DERNIER JOUR

commencement du monde ont disparu, eux aussi, et que tous les amours enchanteurs qui ont bercé les visions humaines, toutes ces bouches sur lesquelles on croyait respirer une jouissance éternelle, tous ces divins baisers, tous ces enlacements éperdus, se sont évanouis en fumée, oui, en fumée, et qu’il n’en reste rien non plus, ni de ces amours, ni de leurs fruits adorés, rien, rien ! Ô mon Omégar, l’humanité a vécu dix millions d’années pour ne rien savoir ! La science merveilleuse entre toutes, la science de l’univers, la sublime astronomie, nous a tout appris, nous a donné la vraie religion, et ne nous a pas montré la logique de Dieu !

— Tu veux trop en savoir. Pourtant tu n’ignores pas que l’humanité terrestre a flotté dans l’inconnaissable. Nous ne pouvons pas connaître l’inconnaissable. Le rouage d’une montre sait-il pourquoi il a été fabriqué et pourquoi il tourne ? Il faut nous résigner à n’avoir été que des rouages. Nous sommes des êtres finis. Dieu est infini. Il n’y a pas de commune mesure entre le fini et l’infini. Nous sommes dans la situation d’une roue de montre qui raisonnerait dans sa boîte sur l’industrie des horlogers. À coup sûr, elle pourrait raisonner aussi pendant dix millions d’années sans trouver que l’appareil dont elle fait partie a pour but de correspondre au mouvement diurne de notre planète. Chère bien-aimée, une roue de montre n’a qu’une fonction réelle à remplir : c’est de tourner.