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Page:Flammarion - Mémoires biographiques et philosophiques d'un astronome, 1912.djvu/53

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mémoires d’un astronome

gazouillement du ruisseau, car dès le matin on partait à la Côte, à la « Côte-la-Biche », pour ne rentrer qu’à la nuit, après avoir joyeusement dîné à midi dans la baraque pleine d’odeurs champêtres.

Cette petite côte est tout simplement un bijou de la nature. Ses pentes sont couvertes de vignes, les hauteurs sont couronnées de petits bois peuplés d’oiseaux, les terrains supérieurs que l’on traverse pour y arriver sont incultes, tapissés de thym et de serpolet broutés par de petits lièvres, râblés et dodus, qui bondissent en vous voyant venir ; en haut les broussailles ou les bois, au-dessous les vignes, plus bas les champs, puis des prés bordant les rives du ruisseau. L’altitude est de 470 mètres. D’en haut la vue s’étend au loin, sur toute la vallée verdoyante de la Meuse, jusqu’à Clefmont, jusqu’à Montigny, jusqu’à Bourbonne, jusqu’aux Vosges, et, au premier plan, au delà de la rivière, se dresse triomphale la noble silhouette de la petite ville de Bourmont, qui semble une citadelle avancée dominant les marches de la Lorraine voisine. On en aura une idée par la photographie reproduite ici : la Meuse est cachée par les maisons du village qui s’étend au pied du coteau, le village de Saint-Thiébaut. La vue est charmée par la grandeur et l’élégance du panorama, l’oreille par le chant des oiseaux, le souffle du vent, le bruissement des insectes, l’odorat par le parfum des plantes et de la terre. C’est un paradis, surtout pour un enfant contemplatif. Notre enfance laisse quelque chose d’elle-même aux demeures, aux choses, aux paysages, sur lesquels ont rayonné nos jours de joie sans ombre, de rêves enfantins et de pure innocence, comme une fleur communique son parfum aux objets qu’elle a touchés.