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Page:Flammarion - Mémoires biographiques et philosophiques d'un astronome, 1912.djvu/65

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mémoires d’un astronome

si je pourrais m’adonner à cet exercice, quoique nous sachions tous fort bien que les oiseaux, les poulets, les moutons, les bœufs, les pièces de gibier, les poissons, et tous les animaux servis sur notre table sont tués dans ce but. Il est probable que, si l’on analysait les choses, on serait végétarien, car nous sommes tous des assassins sans le savoir.

Né en 1791, mon grand-père avait vu toute son enfance se développer pendant l’épopée napoléonienne. Il avait vingt-quatre ans aux jours de Waterloo, et trente ans à la mort de l’Empereur. Son admiration pour le glorieux conquérant était sans bornes. C’est un fait historique assez curieux que presque tous les contemporains de Napoléon l’ont non seulement admiré, mais encore aimé. Les anecdotes ne tarissaient pas sur la vie du grand homme. C’était presque un dieu. Ses images ornaient les principales pièces de la maison. Il y avait notamment deux grands cadres représentant le retour des cendres, en 1840 : l’exhumation du cercueil à Sainte-Hélène, et l’arrivée aux Champs-Élysées, devant lesquels mon grand-père lançait presque toujours un juron à l’adresse des Anglais, avec une larme dans les yeux. Il racontait que les ongles des pieds avaient continué de pousser après la mort de l’Empereur et avaient même percé le bout des bottes, que sa barbe avait également poussé, que s’il allait jamais à Paris, sa première visite serait pour le tombeau des Invalides. L’histoire l’intéressait. Il avait en horreur trois cardinaux, Richelieu, Mazarin et Dubois, et ne manquait guère une occasion de ronchonner contre « ces bougres de calotins ». Quand ma pieuse mère était là, elle ne savait comment le faire taire et arrêter ces troubles à