le monde vit de littérature légère, de romans et de théâtre ?
Cependant, le contraste même entre Constantinople et nos capitales européennes leur avait fait toucher du doigt la différence formidable qui sépare ce Capharnaüm de la civilisation moderne. On est là de plusieurs siècles en arrière. Les rues tortueuses, étroites, ascendantes, descendantes, mal pavées, pleines de trous, jonchées de chiens dormant la plus grande partie du jour sans qu’il soit permis de les déranger (je parle de l’année 1906), barrées de boutiques en plein vent, sillonnées de portefaix encombrants, ne sont faites ni pour les voitures, ni pour les piétons. L’immense pont de bois qui sépare Stamboul de Galata, formé de solives inégales sur lesquelles il est difficile de marcher sans se tordre les pieds, et parcouru par un remous perpétuel de foules bariolées (qui lui apportent journellement un péage de six mille francs), semble dater des âges de barbarie, et est moins confortable que ceux de Paris au temps de Charlemagne. La vie s’interrompt au coucher du soleil, lorsque du haut des minarets les muezzins ont lancé d’une voix nasillarde leurs dernières prières au Prophète ; la lumière électrique n’existe pas encore à Constantinople. On ne se croirait ni au vingtième, ni au dix-neuvième, ni au dix-huitième, ni au dix-septième siècle. On n’est d’ailleurs qu’au quatorzième siècle de l’hégire, lequel, dans la marche du monde oriental, correspond peut-être au quatorzième siècle de l’ère chrétienne. Le calendrier est réglé par la lune, comme au temps des Chaldéens, il y a cinq mille ans. L’heure de chaque jour commence au coucher du soleil, ce qui vous oblige à changer