Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 1.djvu/122

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dans de bons lits et nourris à une bonne table, ayant chevaux, voitures et valets à nos ordres.

Quand on voyage en Corse, on mange et on couche dans la première maison venue, dont on vous ouvre la porte à toute heure du jour et de la nuit. On ne paye jamais, et la coutume est seulement d’embrasser ses hôtes, qui vous demandent votre nom en partant. C’est un si drôle de pays que le préfet même ne peut s’empêcher d’aimer les bandits, quoiqu’il leur fasse donner la chasse. Il m’a promis de m’en faire connaître quelques-uns dans les courses que je vais faire avec M. Cloquet dans la montagne. Nous passerons par un village où nous verrons la véritable Colomba, qui n’est pas devenue une grande dame comme dans la nouvelle de Mérimée, mais une vieille bonne femme grossie et raccourcie.


Le 9.

Je reprends ma lettre après trois jours d’interruption. Nous avons vu Vico et Guagno. Après-demain nous repartons d’Ajaccio pour Corte et pour Bastia. Je puis maintenant te parler de la Corse sciemment, puisque j’ai vu une bonne partie du littoral occidental. Tout le pays est couvert de montagnes et les chemins montent et descendent continuellement, de sorte qu’on est enfoncé dans des gorges et des makis. Tout à coup le paysage change comme un tableau à vue et un autre horizon apparaît. La route que nous parcourions contournait le bord de la mer et nous marchions sur le sable ; il avait un soleil comme tu n’en connais pas, qui dominait toutes les côtes et