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DE GUSTAVE FLAUBERT.

miens pleurent, un cœur gros d’angoisses quand le mien se déchire. Je comprends, je plains ton isolement, la solitude d’affections où tu te trouves ; je souhaite comme toi et pour toi que tu reviennes en France. Il faut espérer que d’ici à quelque temps on te fera cette grâce ou plutôt cette justice, car tu commences vraiment à avoir mérité de l’avancement pour l’embêtement que te donnent tes fonctions. N’est-ce pas qu’il faut avoir demeuré à l’étranger pour aimer son pays ? et n’avoir plus de famille pour en sentir le prix ? J’attends avec impatience les vacances pour pouvoir passer ensemble quelques bonnes heures. Ma pauvre mère te reverra avec bien du plaisir : elle te reverra avec joie, car tu es mêlé à trop de choses tendres du temps de son bonheur pour que tu ne lui sois pas cher. N’aimons-nous pas à retrouver sur les gens, et même sur les meubles et les vêtements, quelque chose de ceux qui les ont approchés, aimés, connus, ou usés ?

Des nouvelles de ce qui se passe ici, je vais t’en donner. Achille a le logement de l’Hôtel-Dieu. Le voilà en pied et avec la plus belle position médicale de la Normandie. Nous autres, nous vivons à Croisset, d’où je ne sors [pas] et où je travaille le plus que je peux, ce qui n’est pas beaucoup, mais un acheminement à plus. L’hiver, nous passerons quatre mois à Rouen. Nous y avons pris un logement au coin de la rue de Buffon. Notre déménagement est à peu près fini, Dieu merci ! c’est encore là une triste besogne. J’y ai une chambre assez propre, avec un petit balcon pour fumer la pipe matinale.

Veux-tu que je t’apprenne quelque chose qui va