Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 1.djvu/258

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
210
CORRESPONDANCE

pler avec une loupe les médailles rouillées des empereurs romains ! Quand il se mêle à cela un peu de poésie ou d’entrain, on doit remercier le ciel de vous avoir fait ainsi naître. Je suis bien curieux de voir ta rédaction et je te sais bon gré de me demander là-dessus mes avis ; tout ce que je pourrai faire pour cela je le ferai, non pas par complaisance, mais par plaisir. Entreprise et continuée avec tant de conscience, il ne peut manquer d’y avoir beaucoup de bon dans ton œuvre ; le tout est de faire saillir tout ce que tu sais, de mettre en relief ce que tu vois.

Pour moi, malgré les chagrins, les soucis, les embarras d’un tas d’affaires, je travaille assez raisonnablement, c’est-à-dire environ huit heures par jour. Je fais du grec, de l’histoire ; je lis du latin, je me culotte un peu de ces braves anciens pour lesquels je finis par avoir un culte artistique ; je m’efforce de vivre dans le monde antique ; j’y arriverai, Dieu aidant.

Ne sortant jamais et ne voyant personne, j’ai jugé sensé de me faire meubler un cabinet à ma guise, duquel je ne compte sortir d’ici à longtemps, à moins que le vent ne me pousse ailleurs.

D’ici à quelques jours il est probable que j’irai à Paris passer une huitaine ; je t’y verrai bien entendu. Achille, grâce un peu à mes soins, soit dit sans présomption diplomatique, a obtenu le logement de l’Hôtel-Dieu, le service de chirurgie de mon père, sauf peu de chose, et la moitié de la chaire de clinique. Voilà un gars heureux ! et servi par les circonstances ; il le méritait certainement, mais le nom de mon père a été un bon génie qui l’a couvert de ses ailes.