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DE GUSTAVE FLAUBERT.

visite, je n’ai à Rouen aucun ami ; rien du dehors ne pénètre jusqu’à moi. Il n’y a pas d’ours blanc sur son glaçon du pôle qui vive dans un plus profond oubli de la terre. Ma nature m’y porte démesurément, et en second lieu, pour arriver là, j’y ai mis de l’art. Je me suis creusé mon trou et j’y reste, ayant soin qu’il y fasse toujours la même température. Qu’est-ce que m’apprendraient ces fameux journaux que tu désires tant me voir prendre le matin avec une tartine de beurre et une tasse de café au lait ? Qu’est-ce que tout ce qu’ils disent m’importe ? Je suis peu curieux des nouvelles ; la politique m’assomme ; le feuilleton m’empeste ; tout cela m’abrutit ou m’irrite. Tu me parles d’un tremblement de terre à Livourne. Quand je serais à ouvrir la bouche là-dessus pour en laisser sortir les phrases consacrées en pareil usage : « C’est bien fâcheux ! quel affreux désastre ! est-il possible ! oh ! mon Dieu ! » cela rendra-t-il la vie aux morts, la fortune aux pauvres ? Il y a, dans tout cela, un sens caché que nous ne comprenons pas, et d’une utilité supérieure sans doute, comme la pluie et le vent ; ce n’est pas parce que nos cloches à melons ont été cassées par la grêle qu’il faut vouloir supprimer les ouragans. Qui sait si le coup de vent qui abat un toit ne dilate pas toute une forêt ? Pourquoi le volcan qui bouleverse une ville ne féconderait-il pas une province ? Voilà encore de notre orgueil ! Nous nous faisons le centre de la nature, le but de la création, et sa raison suprême. Tout ce que nous voyons ne pas s’y conformer nous étonne ; tout ce qui nous est opposé nous exaspère. Que j’en ai entendu, miséricorde ! que j’en ai subi, l’an dernier de ces magnifiques dis-