Je m’étais couché tard hier. On m’a réveillé pour m’apporter ta lettre. Je l’ai lue encore presque endormi et les yeux bouffis. C’est venu comme un de ces bons baisers avec lesquels les mères réveillent leurs enfants, caresse matinale qui bénit toute la journée. J’aime tant tes lettres, elles sont si bien toi, elles émanent si bien de ton pauvre cœur ! Elles sont comme ta figure, tour à tour ardentes, tristes, rêveuses, et toujours aimantes et douces. Entre les lignes, il me semble que je t’aperçois me sourire. Quand mes yeux s’arrêtent au bas des pages, je vois ton long regard tendre qui vient à moi.
Mais pourquoi me caches-tu encore tes chagrins ? Je veux que tu me dises tout, entends-tu ? tout, que tu me donnes des détails. Tu m’en donnes sur beaucoup de gens que je ne connais pas, pourquoi m’en prives-tu sur toi ? Il est triste, n’est-ce pas ? d’être obligé de vivre et surtout d’avoir besoin d’argent pour accomplir cette fonction. C’est ici une des plaies cachées de ma nature, mais plaie énorme. Je suis démesurément pauvre. Quand je dis cela à ma mère ou quand je le laisse percer, elle qui ne comprend pas qu’on désire rien que ce qu’elle a perdu, et qui ne saisit pas que les besoins l’imagination sont les pires de tous, cela la blesse ; elle pense à notre pauvre père qui nous a acquis