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DE GUSTAVE FLAUBERT.

répondre, si vous êtes un peu brave homme, comme j’en suis sûr.

Vous m’avez dit, lors de nos affaires (qui, Dieu merci ! sont finies : Achille est installé à l’Hôtel-Dieu et tout prêt à vous y recevoir, si vous vous présentez), que vous connaissiez Mlle Bertin, et, partant, tout le Journal des Débats. Mlle Bertin est une notabilité musicale qui pourrait nous rendre service. J’ai encore l’air d’un fier intrigant, n’est-ce pas ? Il y a de quoi rire. Voici l’histoire :

Il s’agit de l’Opéra et de la place d’Habeneck, qui va être vacante par suite de la paralysie d’iceluy. Ce n’est pas moi qui la demande, cette place, mais un de mes amis, un homme de talent, d’un talent vrai et sérieux, que l’on appelle Orlowski. Il a été premier alto à l’Opéra-Comique, chef d’orchestre à Rouen, où il a monté La Juive d’une façon telle qu’il s’est acquis, de ce jour-là, la protection et l’amitié d’Halévy, qui va appuyer sa demande. Il est venu en France comme premier grand prix du Conservatoire de Varsovie. C’est un artiste possédant à fond les partitions étrangères, une vraie nature musicale qui va se perdre et pourrir en province.

Ainsi, ce n’est pas un sot que je vous recommande ; ou plutôt c’en est un ! Car le pauvre garçon manque absolument de chic, qualité indispensable pour réussir à Paris ; et il restera à la porte, avec toute sa science musicale (tout son génie peut-être !) tandis qu’on lui préférera quelque aimable monsieur, compositeur de romances andalouses. Si Mlle Bertin pouvait le recommander à Pillet ou à Cavé, en même temps qu’elle me ferait grand plaisir, elle ne ferait rien que de juste.