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CORRESPONDANCE

cela j’aurai eu tort. Tu me diras franchement, amour, l’effet qu’elle t’a produit. J’ai écrit ça tout à l’heure, assez vite. En la relisant, je viens de m’apercevoir qu’elle avait une tournure assez dégagée, et que l’ensemble était d’un chic assez ferme. Cette créature-là n’avait pas pour elle une très grande intelligence, mais ce n’était pas là ce que je lui demandais. Je me rappellerai toujours, qu’elle m’écrivit un jour automate « ottomate » ; ce qui excita beaucoup, beaucoup, mon hilarité (expression parlementaire). À part les moments purement mythologiques, je n’avais rien à lui dire. Au bout de huit jours que nous eussions vécu ensemble, j’en aurais été assommé. Tout le monde n’est pas toi, car toi, tu as pour attirer les gens des charmes secrets dont ils ne se doutent pas. Crois-tu que, depuis qu’il y a des amants sur la terre, beaucoup aient reçu des vers comme ceux du carnet ? Tu me gâtes, tu me donnes de l’orgueil. Je ne vois pas, partout où je tourne les yeux, un homme aimé par une femme telle que toi. Moi qui ne me croyais pas fait pour inspirer de passion sérieuse, je suis si bien démenti par toi que je deviendrais fat et sot si tu ne me laissais encore un peu de bon sens.

Il y a dans la lettre ci-incluse une phrase dont tu te demanderais le sens ; c’est quand je dis que je suis enlaidi. Eh bien, c’est très vrai. C’était il y a dix ans qu’il eût fallu me connaître. J’avais une distinction de figure que j’ai perdue ; mon nez était moins gros et mon front n’avait pas de rides. Il y a encore des moments où, quand je me regarde, je me semble bien ; mais il y en a beaucoup où je me fais l’effet d’un fameux bourgeois. Sais-tu