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Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 1.djvu/404

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CORRESPONDANCE

chose qui m’a beaucoup touché, c’est ce que dit Gibbon[1], à la fin de son histoire, quand il parle de la mélancolie qui lui est survenue au cœur lorsqu’il s’est vu avoir fini l’ouvrage où il avait passé trente ans. Et puis l’imagination est plutôt une faculté qu’il faut, je crois, condenser pour lui donner de la force, qu’étendre pour lui donner de la longueur. Paillettes d’or légères comme de la paille et volatiles comme la poussière, mes idées ont plutôt besoin d’être mises à la presse que passées au laminoir. Ce bon Toirac[2], qui t’a fait plaisir en te parlant de moi, est trop indulgent ou trop illusionné quand il dit que je connais les anciens à fond (mes amis finiraient par me rendre ridicule). C’est-à-dire que je les épelle, voilà tout. C’est un excellent garçon que Toirac, homme d’esprit dans l’acception française du mot, et honnête homme avec cela. Il a un assez joli talent pour faire le vers léger, le vers des épîtres de Voltaire. Je le voyais assez souvent à Paris et nous dînions ensemble. Si tu as des compliments à me relater sur mon compte, j’en ai aussi sur le tien. Il est venu cet après-midi un de mes anciens camarades, cousin de mon beau-frère. Il a vu ton portrait et l’a considérablement admiré ; il l’a pris dans ses mains, approché de la fenêtre et le regardant : « Diable, mais c’est bien beau, ça ! quelle belle figure ! oui, charmante, charmante, etc. » Ça m’a fait plaisir. Était-ce pour toi ou pour moi ? Un grand moraliste seul aurait pu le dire.

À propos de dire, il faut que je t’avoue tout

  1. Historien anglais.
  2. Médecin dentiste renommé.