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CORRESPONDANCE

ton style, fais-en un tissu souple comme la soie et fort comme une cotte de mailles. Pardon de ces conseils, mais je voudrais te donner tout ce que je désire pour moi.

Pas de nouvelles de la commission. Demain nous allons à Rouen pour préparer nos logements d’hiver. Je m’en informerai. J’ai bien peur que ce ne soit que pour le commencement de novembre, c’est-à-dire dans quinze ou vingt jours, mais pas plus tard, bien sûr. Il pleut toujours ; le temps est triste, et moi !

Je travaille assez dans ce moment-ci. J’ai plusieurs choses que je veux finir, qui m’ennuient et que je continue tout de même, espérant plus tard en retirer quelque chose. Au printemps prochain, pourtant, je me mettrai à écrire de nouveau ; mais je recule toujours.

Un sujet à traiter est pour moi comme une femme dont on est amoureux ; quand elle va vous céder, on tremble et on a peur ; c’est un effroi voluptueux, on n’ose pas toucher son désir. J’ai relu ce soir l’épisode de Velléda des Martyrs. Quelle belle chose ! Quelle poésie ! Mais si j’avais été Eudore et que tu eusses été la druidesse, j’aurais cédé plus vite. Je ne peux pas me défendre d’un sentiment d’indignation bourgeoise quand je vois dans les livres des hommes qui résistent aux femmes. On pense toujours que c’est l’auteur qui parle de lui, et on trouve ça impertinent parce que c’est peut-être faux, après tout. Tu me parles d’Albert Aubert et de M. Gaschon de Molesnes. Méprise tous ces drôles ; à quoi bon s’inquiéter de ce que ces merles piaillent ? C’est perdre son temps que de lire des critiques. Je me fais fort de sou-