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Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 1.djvu/475

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DE GUSTAVE FLAUBERT.

c’est là ce que je demande, passer mon temps agréablement, je m’y tiens !

Tu m’appelles brahme ! C’est trop d’honneur, mais je voudrais bien l’être. J’ai vers cette vie-là des aspirations à me rendre fou. Je voudrais vivre dans leurs bois, tourner comme eux dans des danses mystiques, exister dans cette absorption démesurée. Ils sont beaux, avec leurs longues chevelures et leurs visages ruisselants du beurre sacré, et leurs grands cris qui répondent à ceux des éléphants et des taureaux.

J’ai autrefois voulu être camaldule, puis renégat turc. Maintenant c’est brahmane, ou rien du tout, ce qui est plus simple.

Tu as tort vraiment de me prendre tout à fait pour un misérable, incapable de comprendre la poésie du dévouement, etc. Je l’admire beaucoup. Je suis seulement ennuyé d’un tas de mots qui ne rendent pas une idée.

Ce pauvre diable de Chaudes-Aigues[1] ! Tu avais été dure pour lui, et le mot que tu lui as dit, un soir qu’il te parlait de son amour, est bien là de ces mots de férocité féminine qui n’ont pas d’équivalents nulle part.

Et qu’est-ce qu’il t’avait fait pour être si méchante ? Rien ; il ne te plaisait pas, seulement : voilà tout !

Les femmes sont ainsi ; et elles se croient excellentes, encore ! C’est là le drôle.

Merci des vers que tu m’envoies. Si je t’ai servi à trouver un beau vers, ma connaissance n’aura

  1. Chaudes-Aigues, publiciste et écrivain français. Il publia entre autres Les Écrivains modernes de la France, Paris, Gosselin, 1841.