Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 1.djvu/84

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cœur était plus élevé que celui des autres, il est de tes pages où je me suis senti fondre en délices et en amoureuses rêveries !

Continue ton genre de vie, mon cher Ernest, il ne saurait être meilleur. Et moi, que fais-je ? Je suis toujours le même, plus bouffon que gai, plus enflé que grand. Je fais des discours pour le père Magnier, des études historiques pour Chéruel, et je fume des pipes pour mon intérêt particulier. Jamais je n’avais joui d’autant de bonheur matériel que cette année : je n’ai plus aucune tracasserie de collège, je suis tranquille et calme.

Pour écrire, je n’écris pas ou presque point, je me contente de bâtir des plans, de créer des scènes, de rêver à des situations décousues, imaginaires, dans lesquelles je me porte et plonge. Drôle de monde que ma tête !

J’ai lu Ruy Blas ; en somme, c’est une belle œuvre, à part quelques taches et le 4e acte qui, quoique comique et drôle, n’est pas d’un haut et vrai comique ; non que je veuille attaquer l’élément grotesque dans le drame. Il y a deux ou trois scènes et le dernier acte de sublimes ; as-tu vu Frédérick dans cette pièce ? Qu’en dis-tu ?

Dis à Alfred de se dépêcher à m’écrire et que je lui répondrai aussitôt !

Adieu, mon cher Ernest, porte-toi bien. Donne des poignées de main pour moi à Pagnerre et à Alfred […]

Je me dispute depuis 3 ou 4, jours, sous le père Magnier, avec un élève de chez Eudes[1]. J’ai eu surtout deux disputes où j’ai été magnifique. Tous

  1. Prêtre, chef d’institution.