Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 1.djvu/86

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quelque chose d’inouï, de gigantesque, d’absurde, d’inintelligible pour moi et pour les autres. Il fallait sortir de ce travail de fou, où mon esprit était tendu dans toute sa longueur, pour m’appliquer aux Essais de M. Guizot, capables de faire sécher sur pied tout l’Olympe. Juge de la brusque transition et de la torture d’un malheureux homme qui descend des plus hautes régions du ciel pour s’appliquer à des choses abstraites, exactes, mathématiques, pour ainsi dire. Maintenant je ne sais s’il faut continuer mon travail, qui ne m’offre que difficultés insurmontables et chutes, dès que j’avance. — Ô l’Art, l’Art, déception amère, fantôme sans nom qui brille et qui vous perd ! — ou bien continuer à m’emmerder dans les faits ou des considérations sur l’histoire, les hommes, le plan de la Providence, mille choses dont on ne se doute guère… Passons à un autre chapitre, car si je t’ennuie autant que moi-même, c’est assez […]

Diras-tu encore, mon cher Ernest, que je t’écrase de ma supériorité ? J’ai la supériorité d’un fameux imbécile. Tu peux au reste en juger par ma lettre. Je sens moi-même toutes les choses qui sont faibles en moi, tout ce qui me manque tant pour le cœur que pour l’esprit ; — encore plus peut-être (si la vanité ne m’abuse) pour ce dernier. Il y a des endroits où je m’arrête tout court : cela me fut bien pénible récemment encore, dans la composition de mon mystère, où je me trouvais toujours face à face devant l’infini ; je ne savais comment exprimer ce qui me bouleversait l’âme.

Encore moins que tout cela, toutes mes actions sont empreintes de poésie, de libéralité et d’intelligence (quand tu m’en donneras une explication,