Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 1.djvu/97

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l’avouer quand tu l’auras bien méditée et reméditée, était superbe en un endroit ; c’était celui de l’accumulation et de la classification des plats. J’ai été choqué de voir que tu ne l’avais pas admirée ; tu n’en a pas compris le sens allégorique, symbolique et tout le parti qu’on pouvait en retirer sous le point de vue de la philosophie de l’histoire. Je te défie de me citer une faute échappée. Une omission de quelque grand’œuvre, ça se pourrait encore ; mais un anachronisme, une rococotterie, une cochonnerie, cela est impossible, cela n’est pas ; je le soutiendrai à pied, à cheval, armé et en champ clos, comme auraient pu dire Scudéry ou Lacalprenède. Montre-la à Alfred et tu verras qu’il admirera mon lyrisme culinaire, mon enthousiasme de sauces et de liquides.

Pourquoi, misérable, m’écris-tu si brièvement et à de si longs intervalles. Je m’attendais à quelque beau récit de la conquête d’un nouveau chameau, à la traversée de quelque nouveau désert et à la description pittoresque d’une orgie satanique et échevelée. À propos, je te somme de me raconter la dernière et d’y mettre tout le soin possible, d’employer toute la vigueur de ta plume, tout le coloris de tes pinceaux, pour me peindre cette scène de la nature. Dis-moi aussi à quelle époque on aura le plaisir d’embrasser ces lèvres aimées, parfumées de pipes et gercées de petits verres (et non d’alexandrins), si tu prends tes vacances avant l’époque légale et vers quel temps tu viendras à Rouen. J’y resterai toutes les vacances, Achille étant parti en Italie et mon père ne voulant pas laisser faire sa visite par cette canaille de L***. Nous voilà confinés pour deux mois dans