Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 1.djvu/99

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l’orgueil ! A-t-il assez de génie pour franchir la distance, pour traverser la rue, pour mettre un pied sur la borne ? J’en doute fort et je voudrais le voir abandonner un peu la théorie et la critique pour la pratique, la rêverie pour l’action, l’aurore qu’il croit si beau [sic] pour le jour peut-être brumeux !

Allons, maintenant me voilà lancé dans le parlage, dans les mots ; quand il m’échappera de faire du style, gronde-moi bien fort ; ma dernière phrase qui finit par brumeux me semble assez ténébreuse, et le diable m’emporte si je me comprends moi-même ! Après tout, je ne vois pas le mal qu’il y a à ne pas se comprendre ; il y a tant de choses qu’on comprend et qu’on ferait tout aussi bien de ne pas connaître, la vérole par exemple ; et puis le monde se comprend-il lui-même ? Ça l’empêche-t-il d’aller ? Ça l’empêchera-t-il de mourir ? Nom de Dieu que je suis bête ! Je croyais qu’il allait me venir des pensées et il ne m’est rien venu, turlututu ! J’en suis fâché, mais ce n’est pas de ma faute, je n’ai pas l’esprit philosophique comme Cousin ou Pierre Leroux, Brillat-Savarin ou Lacenaire, qui faisait de la philosophie aussi à sa manière, et une drôle, une profonde, une amère de philosophie ! Quelle leçon il donnait à la morale ! Comme il la fessait en public, cette pauvre prude séchée ! Comme il lui a porté de bons coups ! Comme il l’a traînée dans la boue, dans le sang ! J’aime bien à voir des hommes comme ça, comme Néron, comme le Marquis de Sade. Quand on lit l’histoire, quand on voit les mêmes roues tourner toujours sur les mêmes chemins, au milieu des ruines, et sur la poussière de la route du genre humain,