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Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 2.djvu/136

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CORRESPONDANCE

cursion de six jours à Giseh, aux Pyramides, à Sakkara et à Memphis. À Sakkara j’ai ramassé dans leur pot des momies d’ibis que nous remporterons. Quant à des momies humaines, c’est fort difficile à exporter, toutes les antiquités étant arrêtées à la douane. Du reste, si ce n’est pas plus malaisé pour sortir que pour entrer, l’affaire sera bâclée aisément. Nous sommes entrés à Alexandrie sans qu’on ait ouvert nos bagages (1,200 livres). Nous avons donné cinquante sols, et tout a été dit. Voilà donc dix jours que nous avons passés à peu près entièrement dans le désert, couchant sous la tente, vivant avec les Bédouins (lesquels sont très gais et les meilleurs gens du monde), mangeant des tourterelles, buvant du lait de buffle, et entendant la nuit glapir ces vieux chacals que nous voyons le soir et le matin galoper entre les monticules de sables voisins. J’adore le désert ; l’air y est sec et vif comme celui des bords de la mer, rapprochement d’autant plus juste qu’en passant la langue sur sa moustache, on se sale le palais. On y respire à pleins poumons. Nos chevaux étaient ferrés avec un fer plein (comme un soulier) pour mieux courir sur le sable ; nous les lancions à fond de train, nous dévorions l’espace, nous faisions une masse de charges. Pour te rassurer dès à présent quant au désert (relativement à notre voyage du Sinaï que nous ferons vers le mois d’avril probablement), apprends, pauvre vieille, qu’il n’y a dans le désert ni ophtalmie, ni dysenterie, ni fièvre. Il n’y a rien et puis c’est tout ; le seul danger sérieux est d’y crever de faim ou de soif quand on n’a de pas provisions. Nous avons un drogman parfait, homme d’une cinquan-