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Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 2.djvu/139

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DE GUSTAVE FLAUBERT.

avons reçu des Anglais voyageurs sous notre tente. Nous leur avons offert la pipe et le café et échangé toutes sortes de politesses. Le lendemain, course à cheval dans l’intérieur du désert ; photographie, notes. Le vent, la nuit, donnait des coups dans notre tente comme dans la voile d’un navire. Notre lanterne brûlait suspendue au milieu ; les chevaux, attachés à des piquets, soufflaient. Giuseppe, l’écumoire à la main, marmitonnait la cuisine, et autour de leurs feux nos Arabes chantaient des litanies ou écoutaient un d’entre eux raconter une histoire. Pour dormir, ils font des trous dans le sable avec leurs mains et se couchent dans ces sortes de fosses comme des cadavres. On ne sort pas ici des tombeaux, des momies, des débris de toute espèce ; la terre des environs de Sakkara est littéralement composée d’ossements humains. Pour arranger la bride de mon cheval, mon saïs (valet de pied qui court devant les chevaux) a pris un os, en guise d’autre chose. Le sol, en cet endroit, est effondré par des souterrains qui étaient des nécropoles.

À Memphis nous avons campé au bord d’un lac, dans un bois de palmiers, près du colosse de Sésostris étendu sur le ventre dans la boue. Il ne reste rien de Memphis. Il n’y a que des palmiers, quelques troupeaux de chèvres, une belle herbe verte et, çà et là, quelque pauvre Arabe qui fuit à toutes jambes devant vous quand vous galopez vers lui. Je m’aperçois que les Francs sont fort respectés. Nos armes et le souvenir de Napoléon y sont pour beaucoup ; mais il faut dire aussi que beaucoup d’officiers de l’armée du pacha sont des Français et que les pauvres diables ne savent ja-