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CORRESPONDANCE

chose de vague et de doux, comme pour un rêve d’autrefois qu’on aime encore quoiqu’on ne l’ait plus. Alors, quand tu en seras là, je reviendrai ; je serai meilleur peut-être, et toi plus sage.

Mais ne pense pas, je t’en prie, je t’en supplie, ne pense jamais que j’aie jamais voulu ni t’humilier ni te railler, et qu’il y ait eu en moi ironie, dédain ou intention de te faire souffrir ! Non, non, mille fois !

Je ne parle pas de moi ; je mets ici de côté ce que je pense, ce que je sens. Il ne s’agit que de toi. Réfléchis-y. Je peux te voir quelques heures, dans quelques jours. Ce serait peu. Puis, je serai longtemps sans revenir. Je ne te donne pas de conseil parce que tu accuserais soit mon indifférence, soit mon amour d’y être intéressés. Fais ce que tu voudras ; mais ensuite ne m’accuse plus ; accuse-toi.

Un temps viendra, si tu vieillis, où tu découvriras de la tendresse dans ce qui te semble cruel, et de la délicatesse peut-être à ce que tu trouves outrageant.

Adieu, adieu ; si le ciel était juste, il te donnerait le bonheur que tu n’as pas trouvé en moi. Y a-t-il à boire dans un verre vide ?


191. À ERNEST CHEVALIER.
Croisset. Mercredi, 28 avril 1847.

Je pars demain matin pour Paris, et samedi je commence mon voyage de Bretagne. Avant de