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CORRESPONDANCE

était trempé, tous les passagers dormaient, moi seul excepté qui, le lorgnon sur l’œil, me guindais pour découvrir quelque chose. Enfin des lumières à ras des flots ont paru ; c’était Beyrouth. Nous étions dans la rade, le bateau allait à demi-vapeur. Tout le monde se taisait ; on entendait de dessous l’avant du navire glousser une poule dans la cage aux volailles, et au haut du mât la lanterne qui crépitait dans l’humidité de la nuit. Quelque temps après j’ai entendu venir du rivage le chant d’un coq, un autre y a répondu, et puis il s’est mêlé à ces deux voix une autre voix stridente et se répétant d’une façon monotone, comme le chant du grillon. Le capitaine sur la passerelle donnait des commandements, la lune venait de se coucher, il faisait beaucoup d’étoiles. Nous avons passé près d’un navire dont la cabine était éclairée, on a lâché l’ancre, nous étions arrivés et j’ai été me coucher. Il était 3 heures 5 minutes du matin à ma montre.

Le lendemain, ou plutôt 3 heures après, à 6 heures, nous nous sommes embarqués, gants et gens, dans le canot du lazaret. Nous avions avec nous, comme devant être nos compagnons de captivité, deux moines Franciscains, dont l’un s’en va à Ispahan et l’autre à Jérusalem, un capitaine Maltais, deux ou trois marchands chrétiens de Syrie, établis à Alexandrie, dont l’un possédait une pauvre petite négresse de 10 à 12 ans. Quand nous sommes arrivés sur le vapeur, nous l’avions vue blottie dans un coin et qui pleurait à chaudes larmes. Elle avait l’air si misérable et si triste que les marins en étaient apitoyés. Joseph, qui connaissait son propriétaire, m’a dit : « Il est de si grandes canailles ! Ces chrétiens de la Syrie ! bien pis que