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CORRESPONDANCE

besoin d’un ami, Louise, rappelez-vous de moi ; aux grandes occasions de douleur pensez à moi.

Adieu, et quand votre fille dormira cette nuit, allez l’embrasser de ma part.

Poste rest. Vannes, jusqu’à la fin du mois.


194. À LOUISE COLET.

Entièrement inédite.

Quimper, le 11 juin.

Mon vous n’exprime pas aussi bien ce que je suis pour toi, que tu. Je te tutoie donc, car j’ai pour toi un sentiment spécial et particulier, auquel en vain je cherche un nom juste sans le pouvoir trouver, et si je t’écris ce n’est pas, comme tu dis, parce que je n’ai rien de mieux à faire, car souvent, dans la journée, je t’envoie de bonnes pensées. Oui, souvent je songe à toi : je te vois, au milieu de ta triste vie, rendue plus triste par moi, seule dans ton petit boudoir, seule dans ta maison, isolée dans ton cœur, qui n’a pour habitants que des ennuis et des chagrins que j’ai augmentés, mon Dieu ! que j’ai augmentés. Voilà ce que je me reproche sans cesse. Mais est-ce ma faute, encore un coup ! Plus tard, si je vis, si tu vieillis, j’écrirai peut-être toute cette histoire qui n’en est même pas une. Alors elle nous paraîtra peut-être à nous-mêmes toute simple et toute naturelle. Vues à distance les choses prennent des proportions régulières et se couvrent d’une couleur normale. De près nous étions, au contraire, choqués de leur discordance et des tons criards qui les bigarraient.