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DE GUSTAVE FLAUBERT.

nerveusement par ta précipitation à passer d’une idée à l’autre, à adopter un synonyme, à le rejeter, etc… Il faut se cramponner à une chose et y rester, jusqu’à ce qu’on l’ait décrochée complètement.

Tu admires la facture de Bouilhet : il a passé dernièrement dix jours pour changer deux vers. Il est vrai que c’est la plus belle méthode pour crever de faim et pour avoir envie, dans des moments, de se casser la gueule (si l’on peut s’exprimer ainsi), comme il m’est advenu hier, toute la soirée. Quelle désespérante chose qu’un long travail, quand on y met de la conscience ! J’ai fait, depuis que nous nous sommes quittés, 8 pages ; et quand je pense que j’en ai encore 250 ! que dans un an je n’aurai pas fini ! et puis les doutes sur l’ensemble qui vous empoignent au milieu de tout ça ! Quel foutu métier ! Quelle sacrée manie ! Bénissons-le pourtant ce cher tourment. Sans lui il faudrait mourir. La vie n’est tolérable qu’à la condition de n’y jamais être.

Tu donnes en plein dans les embûches de la Sylphide, ô muse naïve ! La lettre envoyée à Énault lui faisait entendre que la protection pouvait bien être demandée pour Bouilhet et sa réponse, à lui Énault, a été écrite pour être montrée (premier but atteint). La ficelle « vous voyez bien qu’elle n’est pas tendre » est donc une corde à puits. Le mot « les hommes sont bêtes et drôles » dit pour être rapporté ! (second but atteint). Puis un peu de poésie, les arbres, la neige et enfin ce bon Capitaine, qui arrive à la fin, à propos de rien du tout, mais pour pallier l’allusion et sucer la blessure après l’avoir faite. J’oubliais la blanche main