Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 3.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
188
CORRESPONDANCE

d’un mot quand on n’a pas le sens poétique, et qu’il sait faire des vers latins, du grec médiocrement, un tout petit peu d’histoire, beaucoup d’anecdotes, avec cela de l’esprit de société et la réputation d’habile homme : voilà son bagage. Quant à être, je ne dis pas des écrivains, mais même des littérateurs, non, non ! Il leur manque la première condition, le goût ou l’amour, ce qui est tout un.

Tu me dis : « Nous finirons pas valoir mieux qu’eux comme talent. » Ah ! ceci m’ébouriffe, car je crois que c’est déjà fait, et je pense que Villemain peut s’atteler le reste de ses jours avant d’écrire une seule page de la Bovary, une seule strophe de Melaenis, un seul paragraphe de la Paysanne. « Que je sois jamais de l’Académie (comme dit Marcillac, l’artiste romantique de Gerfault), si j’arrive au diapason de pareils ânes ! » C’est bien beau, l’idée qui a frappé l’Académie dans le numéro 26 : « Le poète sur les ruines d’Athènes et évoquant le passé, le faisant revivre ! » Est-ce Volney ! et rococo ! Comment un homme peut-il rapporter de semblables bêtises sans en rire le premier ? Comment ne pas sentir que c’était là la manière la plus vulgaire, la plus usée (et la moins vraie) de prendre le sujet ? Si mon pharmacien avait concouru pour l’Acropole, il est certain que c’eût été là son plan.

Et l’aplomb de ces messieurs-là ! Sont-ils piètres, contents d’eux, sûrs de leur jugement ! Ce pauvre Delisle qui va leur présenter son livre ! Non, tout cela m’indigne trop. Je suis gorgé de l’humanité en général et des gens de lettres en particulier, comme si j’avais avalé cent livres de suif.

J’aurais bien voulu être là quand le Philosophe