Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 3.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
196
CORRESPONDANCE

aimer que nous nous aimons. Ah ! comme nous nous fondions bien ! Comme je te regardais ! comme je te vois encore ! Quelle étreintes des bras et quelle pénétration mutuelle de toute la pensée ! Ta bonne et belle figure est encore là, devant moi ; j’ai encore sous mes yeux tes yeux et l’impression de ta bouche sur mes lèvres. Ce sera plus tard, pour nos vieillesses, un souvenir réchauffant que cette promenade de Vétheuil[1] à la Roche, avec ce bon Soleil qu’il y avait, ces gens qui fouissaient au pied des vignes, le grand air, le mouvement, nos paroles échangées, etc… Pauvre Mantes ! comme je l’aime. Il faudra y revenir pas trop tard et avant que les feuilles ne soient tombées. Bouilhet m’a beaucoup reparlé de la Paysanne. Trois de ses élèves vont l’acheter. Qu’on en parle ou non, je te dis que ça percera, tu verras.

Anecdote : tu sais, ou ne sais pas, que Reyer (musicien) avait écrit à B[ouilhet], pour lui demander la permission de mettre en musique sa pièce à Rachel : « Je ne suis pas le Christ », permission qui fut accordée. Samedi, B[ouilhet] a reçu cela, qui a pour titre Rédemption (invention nouvelle de l’éditeur ou du compositeur, lesquels du reste ont écrit tous les deux une lettre fort polie à Bouilhet). Mais devine son ébahissement en voyant au plus haut de la feuille, au-dessus de la vignette, au-dessous du titre, cette dédicace : « À M. Maxime Du Camp ». Est-ce fort ? C’est si fort que ça n’a pas même aucun sens, puisque la pièce, d’un bout à l’autre, est adressée à quelqu’un

  1. Petit village situé dans une vallée près de Mantes ; de leur promenade, Louise Colet fit un poème (voir lettre 396).