à 2 heures du matin, à pied, avec Maxime, sac au dos, en revenant de Bretagne. Que de choses depuis ! Mais l’entrée qui domine toutes les autres est celle que je fis en 1843. C’était à la fin de ma première année de droit. J’arrivais de Paris, seul. J’avais quitté la diligence à Pont-l’évêque, à trois lieues d’ici, et j’arrivais à pied, par un beau clair de lune, vers 3 heures du matin. Je me rappelle encore la veste de toile et le bâton blanc que je portais, et quelle dilatation j’ai eue en aspirant de loin l’odeur salée de la mer. Il n’y a que cela que je retrouve, l’odeur ; tout le reste est changé. Paris a envahi ce pauvre pays plein maintenant de chalets dans le goût de ceux d’Enghien. Tout est plein de culottes de peau, de livrées, de beaux messieurs, de belles dames. Cette plage, où je me promenais jadis sans caleçon, est maintenant décorée de sergents de ville ; il y a des lignes de démarcation pour les deux sexes.
Nature au front serein, comme vous oubliez,
Et comme vous brisez dans vos métamorphoses
Les fils mystérieux où nos cœurs sont liés !
Il faut que la vie de l’homme soit bien longue, puisque les maisons, les pierres, la terre, tout cela a le temps de changer entre deux états de l’âme ! J’ai vu à notre ancienne maison, celle que nous avons habitée pendant quatre ans de suite, des rochers factices. Le rire m’a empêché les pleurs. C’est devenu la propriété d’un agent de change de Paris, et tout le monde s’accorde à trouver cela très beau.
Je crois que je deviens fort en philosophie, car ce spectacle m’eût navré il y a quelque temps.