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DE GUSTAVE FLAUBERT.

des descriptions physiques de gens et d’objets, et à montrer au milieu de tout cela un monsieur et une dame qui commencent (par une sympathie de goûts) à s’éprendre un peu l’un de l’autre. Si j’avais de la place encore ! Mais il faut que tout cela soit rapide sans être sec, et développé sans être épaté, tout en me ménageant, pour la suite, d’autres détails qui là seraient plus frappants. Je m’en vais faire tout rapidement et procéder par grandes esquisses d’ensemble successives ; à force de revenir dessus, cela se serrera peut-être. La phrase en elle-même m’est fort pénible. Il me faut faire parler, en style écrit, des gens du dernier commun, et la politesse du langage enlève tant de pittoresque à l’expression !

Tu me parles encore, pauvre chère Louise, de gloire, d’avenir, d’acclamations. Ce vieux rêve ne me tient plus, parce qu’il m’a trop tenu. Je ne fais point ici de fausse modestie ; non, je ne crois à rien. Je doute de tout, et qu’importe ? Je suis bien résigné à travailler toute ma vie comme un nègre sans l’espoir d’une récompense quelconque. C’est un ulcère que je gratte, voilà tout. J’ai plus de livres en tête que je n’aurai le temps d’en écrire d’ici à ma mort, au train que je prends surtout. L’occupation ne me manquera pas (c’est l’important). Pourvu que la Providence me laisse toujours du feu et de l’huile ! Au siècle dernier, quelques gens de lettres, révoltés des exactions des comédiens à leur égard, voulurent y porter remède. On prêcha Piron d’attacher le grelot : « car enfin vous n’êtes pas riche, mon pauvre Piron », dit Voltaire. « C’est possible, répondit-il, mais je m’en fous comme si je l’étais ». Belle parole et qu’il faut suivre