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DE GUSTAVE FLAUBERT.

la débauche. Mais la débauche pourtant (si elle n’était un mensonge) serait une chose belle et il est bon, sinon de la pratiquer, du moins de la rêver. Qu’on s’en lasse vite, d’accord ! Et les conditionnels que tu me poses à ce sujet ne peuvent même s’appliquer, car ces pauvres créatures, dont tu parles toujours avec un mépris un peu bourgeois, exhalent pour moi un tel parfum d’ennui que j’aurais beau me forcer maintenant : les sens s’y refusent. Mais tout le monde n’a pas passé par toi. (Ne t’inquiète pas de l’avenir, va ; tu resteras toujours la légitime.) Et je persiste à soutenir que si tu pouvais offrir à Leconte quelque chose de beau et de violent, charnellement parlant, cela lui ferait du bien. Il faudrait qu’un vent chaud dissipât les brumes de son cœur. Ne vois-tu pas que ce pauvre poète est fatigué de passions, de rêves, de misères. Il a eu un grand excès de cœur ; un petit amour lui ferait pitié ; les excessifs sont dangereux, un peu de farce ne nuirait pas. Je lui souhaite une maîtresse simple de cœur et bornée de tête, très bonne fille, très lascive, très belle, qui l’aime peu et qu’il aime peu. Il a besoin de prendre la vie par les moyens termes, afin que son idéal reste haut. Quand Goethe épousa sa servante, il venait de passer par Werther, et c’était un maître homme et qui raisonnait tout.

Oui, je soutiens (et ceci, pour moi, doit être un dogme pratique dans la vie d’artiste) qu’il faut faire dans son existence deux parts : vivre en bourgeois et penser en demi-dieu. Les satisfactions du corps et de la tête n’ont rien de commun. S’ils (sic) se rencontrent mêlés, prenez-les et gardez-les. Mais ne les cherchez pas réunis, car ce serait factice. Et cette