Voici enfin un envoi du Grand Crocodile (je garde une lettre à Mme d’Aunet que je t’enverrai la première fois ; le paquet serait trop gros). Tu verras un discours dont j’ai le double et qui me paraît peu raide. J’ai peur que le grand homme ne finisse par s’abêtir là-bas, dans sa haine. L’attention qu’il a eue de t’envoyer ce journal de Jersey me semble très délicate. Dans sa lettre à moi, il me dit qu’il exige la correspondance, et il qualifie mes lettres des « plus spirituelles et des plus nobles du monde ». J’ai envie maintenant de lui écrire tout ce que je pense. Le blesserai-je ? Mais je ne peux pourtant lui laisser croire que je suis républicain, que j’admire le peuple, etc… Il y a une mesure à prendre entre la grossièreté et la franchise, que je trouve difficile. Qu’en dis-tu ? Par un hasard singulier, on m’a apporté avant-hier un pamphlet en vers contre lui, stupide, calomniant, baveux. Il est d’un citoyen d’ici, ancien directeur de théâtre, drôle qui a épousé pour sa fortune une femme sortant des Madelonnettes[1] et qui, veuf maintenant, se retrouve sur le pavé, ne sachant comment vivre. Cela est payé bien sûr, mais n’aura guère de succès, car c’est illisible.
Ce soubiranne a jadis calé en duel devant un de mes amis, le frère d’Ernest Delamarre (qui m’a donné cette petite statue dorée que tu as vue rue
- ↑ Sorte de couvent, sous le vocable de sainte Madeleine, où étaient enfermées les femmes de mauvaise vie.