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CORRESPONDANCE

siasmé : de grosses injures et beaucoup de placages de style. Il n’a pas donné le temps à sa colère de se refroidir. On n’écrit pas avec son cœur, mais avec sa tête, encore une fois, et si bien doué que l’on soit, il faut toujours cette vieille concentration qui donne vigueur à la pensée et relief au mot. Qu’il y aurait eu bien mieux à dire ! Mais j’attends la totalité pour t’en parler plus longuement. Je trouve que tu es sévère pour Gautier. Ce n’est pas un homme né aussi poète que Musset, mais il en restera plus, parce que ce ne sont pas les poètes qui restent, mais les écrivains. Je ne connais rien de Musset qui soit d’un art si haut que le Saint-Christophe d’Ecija[1]. Personne n’a fait de plus beaux fragments que Musset, mais rien que des fragments ; pas une œuvre ! Son inspiration est toujours trop personnelle, elle sent le terroir, le Parisien, le gentilhomme ; il a à la fois le sous-pied tendu et la poitrine débraillée. Charmant poète, d’accord ; mais grand, non. Il n’y en a eu qu’un en ce siècle, c’est le père Hugo. Gautier a un monde poétique fort restreint, mais il l’exploite admirablement quand il s’en mêle. Lis le Trou du serpent[2], c’est cela qui est vrai et atrocement triste. Quant à son Don Juan, je ne trouve pas qu’il vienne de celui de Namouna, car chez lui il est tout extérieur (les bagues qui tombent des doigts amaigris, etc.), et chez M[usset] tout moral. Il me semble, en résumé, que G[autier] a raclé des cordes plus neuves (moins byroniennes) et, quant au vers, il est plus consistant. Les fantaisies qui nous (et moi tout le

  1. Dans España de Th. Gautier.
  2. Dans Poésies diverses de Th. Gautier.