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DE GUSTAVE FLAUBERT.

enterrement (celui d’un oncle de ma belle-sœur) ? Je commence à être las du grotesque des funérailles, car c’est encore plus sot que ce n’est triste. J’ai revu là beaucoup de balles rouennaises oubliées. C’est fort ! J’étais à côté de deux beaux-frères du défunt qui s’entretenaient de la taille des arbres fruitiers. Comme c’était au cimetière où sont mon père et ma sœur, l’idée m’a pris d’aller voir leurs tombes. Cette vue m’a peu ému ; il n’y a là rien de ce que j’ai aimé, mais seulement les restes de deux cadavres que j’ai contemplés pendant quelques heures. Mais eux ils sont en moi, dans mon souvenir. La vue d’un vêtement qui leur a appartenu me fait plus d’effet que celle de leurs tombeaux. Idée reçue, l’idée de la tombe ! Il faut être triste là, c’est de règle. Une seule chose m’a ému, c’est de voir dans le petit enclos un tabouret de jardin (pareil à ceux qui sont ici) et que ma mère, sans doute, y a fait porter. C’est une communauté entre ce jardin-là et l’autre, une extension de sa vie sur cette mort et comme une continuité d’existence commune à travers les sépulcres. Les anciens se privaient de toutes ces saletés de charognes. La poussière humaine, mêlée d’aromates et d’encens, pouvait se tenir enfermée dans les doigts, ou, légère comme celle du grand chemin, s’envoler dans les rayons du soleil. Adieu, je vais me coucher, il en est temps. À toi, mille et mille baisers de ton G.