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CORRESPONDANCE

ture pourtant ! Songer que la plus mauvaise partie de 93 vient du latin ! La rage du discours de rhétorique et la manie de reproduire des types antiques (mal compris) ont poussé des natures médiocres à des excès qui l’étaient peu. Maintenant nous allons retourner aux petits amusements des anciens jésuites, à l’acrostiche, aux poèmes sur le café ou le jeu d’échecs, aux choses ingénieuses, au suicide. Je connais un élève de l’École normale qui m’a dit que l’on avait puni un de ses camarades (qui doit sortir dans six mois professeur de rhétorique) comme coupable d’avoir lu la Nouvelle Héloïse, qui est un mauvais livre. Je suis fâché de ne pas savoir ce qui se passera dans deux cents ans, mais je ne voudrais pas naître maintenant et être élevé dans une si fétide époque.

Envoie-moi, si tu veux, de l’eau Taburel ; mais c’est de l’argent perdu. Le docteur Valerand, qui est chauve, est un homme d’une foi robuste et, de plus, un fier âne. Rien ne peut faire repousser les cheveux (pas plus qu’un bras amputé !).

Je travaille un peu mieux ; à la fin de ce mois j’espère avoir fait mon auberge[1]. L’action se passe en trois heures. J’aurai été plus de deux mois. Quoi qu’il en soit, je commence à m’y reconnaître un peu ; mais je perds un temps incalculable, écrivant quelquefois des pages entières que je supprime ensuite complètement, sans pitié, comme nuisant au mouvement. Pour ce passage-là, en effet, il faut en composant que j’en embrasse du même coup d’œil une quarantaine au moins. Une fois sorti de là et dans trois ou quatre mois envi-

  1. Voir Madame Bovary, p. 109.