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DE GUSTAVE FLAUBERT.

arrive à n’avoir plus une idée, à ne plus respecter rien. Si toute moralité est inutile pour les sociétés de l’avenir qui, étant organisées comme des mécaniques, n’auront pas besoin d’âme, il prépare la voie (je parle sérieusement, je crois que c’est là sa mission). À mesure que l’humanité se perfectionne, l’homme se dégrade. Quand tout ne sera plus qu’une combinaison économique d’intérêts bien contrebalancés, à quoi servira la vertu ? Quand la nature sera tellement esclave qu’elle aura perdu ses formes originales, où sera la plastique ? etc. En attendant, nous allons passer dans un bon état opaque. Ce qui me divertit là dedans, ce sont les gens de lettres qui croyaient voir revenir Louis XIV, César, etc., à une époque où l’on s’occuperait d’art, c’est-à-dire de ces messieurs. L’intelligence allait fleurir dans un petit parterre anodin soigneusement ratissé par Monsieur le Préfet de police. Ah ! Dieu merci, ce qui en reste n’a pas la vie dure. Ces bons journaux, on va donc les supprimer. C’est dommage, ils étaient si indépendants et si libéraux, si désintéressés ! On s’est moqué du droit divin et on l’a abattu ; puis on a exalté le peuple, le suffrage universel, et enfin ç’a été l’ordre. Il faut qu’on ait la conviction que tout cela est aussi bête, usé, vide que le panache blanc d’Henri IV et le chêne de saint Louis. Mort aux mythes ! Quant à ce fameux mot : « Que ferez-vous ensuite ? Que mettrez-vous à la place ? », il me paraît inepte et immoral, tout ensemble. Inepte, car c’est croire que le soleil ne luira plus parce que les chandelles seront éteintes ; immoral, car c’est calmer l’injustice avec le cataplasme de la peur. Et dire que tout cela vient de la littéra-