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CORRESPONDANCE

de tous les pays ; les uns en chaises à porteurs, d’autres en cabriolets et les plus éloignés montés sur des éléphants, sur des tigres, sur des aigles ». Et dire que, tant que les Français vivront, Boileau passera pour être un plus grand poète que cet homme-là. Il faut déguiser la poésie en France ; on la déteste et, de tous ses écrivains, il n’y a peut-être que Ronsard qui ait été tout simplement un poète, comme on l’était dans l’antiquité et comme on l’est dans les autres pays.

Peut-être les formes plastiques ont-elles été toutes décrites, redites ; c’était la part des premiers. Ce qui nous reste, c’est l’extérieur (sic) de l’homme, plus complexe, mais qui échappe bien davantage aux conditions de la forme. Aussi je crois que le roman ne fait que de naître, il attend son Homère. Quel homme eût été Balzac, s’il eût su écrire ! Mais il ne lui a manqué que cela. Un artiste, après tout, n’aurait pas tant fait, n’aurait pas eu cette ampleur.

Ah ! ce qui manque à la société moderne, ce n’est pas un Christ, ni un Washington, ni un Socrate, ni un Voltaire même ; c’est un Aristophane, mais il serait lapidé par le public ; et puis à quoi bon nous inquiéter de tout cela, toujours raisonner, bavarder ? Peignons, peignons, sans faire de théorie, sans nous inquiéter de la composition des couleurs, ni de la dimension de nos toiles, ni de la durée de nos œuvres.

Il fait maintenant un épouvantable vent, les arbres et la rivière mugissent. J’étais en train, ce soir, d’écrire une scène d’été avec des moucherons, des herbes au soleil, etc. Plus je suis dans un milieu contraire et mieux je vois l’autre. Ce grand