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CORRESPONDANCE

secret des grands succès et des petits aussi. Arsène Houssaye a profité de la manie rococo qui a succédé à la manie moyen âge, comme Mme Beecher-Stowe a exploité la manie égalitaire. Notre ami Maxime, lui, profite des chemins de fer, de la rage industrielle, etc.

Mais nous, nous ne profitons de rien. Nous sommes seuls. Seuls, comme le Bédouin dans le désert. Il faut nous couvrir la figure, pour serrer dans nos manteaux et donner tête baissée dans l’ouragan — et toujours, incessamment — jusqu’à notre dernière goutte d’eau, jusqu’à la dernière palpitation de notre cœur. Quand nous mourrons, nous aurons cette consolation d’avoir fait du chemin, et d’avoir navigué dans le Grand.

Je sens contre la bêtise de mon époque des flots de haine qui m’étouffent. Il me monte de la m… à la bouche comme dans les hernies étranglées. Mais je veux la garder, la figer, la durcir ; j’en veux faire une pâte dont je barbouillerai le dix-neuvième siècle, comme on dore de bouse de vache les pagodes indiennes, et qui sait ? cela durera peut-être ? Il ne faut qu’un rayon de soleil ! l’inspiration d’un moment, la chance d’un sujet !

Allons, Philippe, éveille-toi ! De par l’Odyssée, de par Shakespeare et Rabelais, je te rappelle à l’ordre, c’est-à-dire à la conviction de ta valeur. Allons, mon pauvre vieux, mon roquentin, mon seul confident, mon seul ami, mon seul déversoir, reprends courage, aime-nous mieux que cela. Tâche de traiter les hommes et la vie avec la maestria (style parisien) que tu as en traitant les idées et les phrases.

La Bovary va pianissimo. Tu devrais bien me