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DE GUSTAVE FLAUBERT.

ta personne. Il y aurait encore autre chose, ce serait de demander une pension pour ta mère, qui te la donnerait. Mais il y aurait là beaucoup d’inconvénients que je te dirai.

Quant à elle, ta mère, je lui en veux. Elle aurait pu t’épargner les conseils qu’elle t’a donnés et rester à Cany[1]. C’était bien le moment de te décourager encore plus ! de te dire « renonce » quand tu ne reculais que déjà trop. Malédiction sur la famille qui amollit le cœur des braves, qui pousse à toutes les lâchetés, à toutes les concessions ! et qui vous détrempe dans un océan de laitage et de larmes !

Voyons, S… N… de D… ! doutes-tu que tu sois né pour faire des vers, et exclusivement pour cela ? Il faut donc t’y résigner. Doutes-tu, au fond même de ton découragement, qu’un jour ou l’autre tu ne sois joué aux Français et que tu réussisses ? Il faut donc attendre. C’est une affaire de temps, une affaire de patience, de courage et d’intrigue aussi. Tu as un talent que je ne reconnais qu’à toi. Il te manque ce qu’ont tous les autres, à savoir : l’aplomb, le petit manège du monde, l’art de donner des poignées de main et d’appeler « mon cher ami » des gens dont on ne voudrait pas pour domestiques. Cela ne me paraît pas monstrueux à acquérir, surtout quand « il le faut ».

J’irai voir Léonie vers la fin de la semaine prochaine ou le commencement de l’autre. J’ai besoin

  1. Madame Bouilhet, craignant que son fils, désespéré par son échec au Théâtre Français, ne prît le parti extrême du suicide, avait aussitôt quitté Cany, et était venue, en pleurant, supplier Louis de renoncer à tout jamais au théâtre. (Letellier, p. 261.)