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DE GUSTAVE FLAUBERT.

était restée suspendue au plafond… Vous rappelez-vous ce soir de septembre où nous devions tous nous promener sur la Touques quand, la marée survenant, les câbles se sont rompus, les barques entre-choquées, etc… Ce fut un vacarme affreux et Maurice qui avait rapporté de Honfleur, et à pied, un melon gigantesque[1] sur son épaule, retrouva de l’énergie pour crier plus fort que les autres. J’entends encore sa voix vous appelant dans la foule : « Za !… za !… »

Jamais non plus je n’oublierai votre maison de la rue de Grammont, l’exquise hospitalité que j’y trouvais, ces dîners du mercredi, qui étaient une vraie fête dans ma semaine.

Pourquoi donc faut-il qu’habitant maintenant Paris, j’y sois privé de vous ? Souvent je passe chez Brandus pour avoir de vos nouvelles et l’on me répond invariablement « Toujours à Bade ! ».

Avez-vous donc quitté la France tout à fait ? N’y reviendrez-vous pas ?

Elle n’est guère aimable, maintenant, cette pauvre France, c’est vrai, ni noble surtout, ni spirituelle ; mais enfin !… c’est la France !

Quant à moi, l’année ne se passera pas sans que je vous voie, car je trouve stupide de vivre constamment loin de ceux qui nous plaisent. N’a-t-on pas autour de soi assez de crétins et de gredins ? — Vous me préviendrez, n’est-ce pas, chère Madame, quand il faudra que je vous expédie (si je ne vous l’apporte auparavant) l’eau du Jourdain.

  1. Voir Œuvres de Jeunesse inédites, I : Mémoires d’un fou, p. 510. « Son mari tenait le milieu entre l’artiste et le commis-voyageur… Je le vis une fois faire trois lieues à pied pour aller chercher un melon à la ville la plus voisine, etc. »