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CORRESPONDANCE

Quant à moi, la vue de mon œuvre imprimée a achevé de m’abrutir. Elle m’a paru des plus plates. Je n’y vois que du noir. Ceci est textuel. Ç’a été un grand mécompte, et il faudrait que le succès fût bien étourdissant pour couvrir la voix de ma conscience qui me crie : « Raté ».

Il n’y a qu’une chose qui me console, c’est la pensée de ton succès, et puis l’espoir (mais j’en ai déjà tant eu, d’espoirs !) que Saint Antoine a maintenant un plan ; cela me semble beaucoup plus sur ses pieds que la Bovary.

Non ! s… n… de D… ! ce n’est pas pour que tu me renvoies des compliments, mais je ne suis pas gai là-dessus, ça me semble petit « et fait pour être médité dans le silence du cabinet ». Rien qui enlève et brille de loin. Je me fais l’effet d’être « fort en thème ». Ce livre indique beaucoup plus de patience que de génie, bien plus de travail que de talent. Sans compter que le style n’est déjà pas si raide ; il y a bien des phrases à recaler ; plusieurs pages sont irréprochables, je le crois, mais ça ne fait rien à l’affaire.

Songe à cette histoire du Journal de Rouen. Mets-toi à ma place. N’en dis rien à Du Camp, jusqu’à ce que nous ayons pris un parti[1] ; il serait d’avis de céder, probablement. Mets-toi au point de vue de l’absolu et de l’Art.

Tu dois rire de pitié sur mon compte, mais je suis complètement imbécile.

Adieu ; réponds-moi immédiatement.


  1. Flaubert adopta : le Fanal de Rouen. Voir Madame Bovary, p. 340, 390, 484.