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CORRESPONDANCE

à leur adresse, n’en doutez pas : voici donc toute l’histoire. La Revue de Paris où j’ai publié mon roman (du 1er octobre au 15 décembre) avait déjà, en sa qualité de journal hostile au gouvernement, été avertie deux fois. Or, on a trouvé qu’il serait fort habile de la supprimer d’un seul coup, pour fait d’immoralité et d’irréligion ; si bien qu’on a relevé dans mon livre, au hasard, des passages licencieux et impies. J’ai eu à comparaître devant M. le juge d’instruction, et la procédure a commencé. Mais j’ai fait remuer vigoureusement les amis, qui pour moi ont un peu pataugé dans les hautes fanges de la capitale. Bref, tout est arrêté, m’assure-t-on, bien que je n’aie encore aucune réponse officielle. Je ne doute pas de la réussite, cela était trop bête. Je vais donc pouvoir publier mon roman en volume. Vous le recevrez dans six semaines environ, je pense, et je vous marquerai, pour votre divertissement les passages incriminés. L’un d’eux, une description d’Extrême-Onction, n’est qu’une page du Rituel de Paris, remise en français ; mais les braves gens qui veillent au maintien de la religion ne sont pas forts en catéchisme.

Quoi qu’il en soit, j’aurais été condamné, condamné quand même, — à un an de prison, sans compter mille francs d’amende. De plus, chaque nouveau volume de votre ami eût été cruellement surveillé et épluché par MM. de la police, et la récidive m’aurait conduit derechef sur « la paille humide des cachots » pour cinq ans : en un mot, il m’eut été impossible d’imprimer une ligne. Je viens donc d’apprendre : 1o qu’il est fort désagréable d’être pris dans une affaire politique ; 2o que l’hypocrisie sociale est une chose grave.