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Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 4.djvu/153

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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Mais elle a été si stupide, cette fois, qu’elle a eu honte d’elle-même, a lâché prise et est rentrée dans son trou.

Quant au livre en soi, qui est moral, archi-moral, et à qui l’on donnerait le prix Montyon s’il avait des allures moins franches (honneur que j’ambitionne peu), il a obtenu tout le succès qu’un roman peut avoir dans une Revue.

J’ai reçu des confrères de fort jolis compliments, vrais ou faux, je l’ignore. On m’assure même que M. de Lamartine chante mon éloge très haut — ce qui m’étonne beaucoup, car tout, dans mon œuvre, doit l’irriter ! — La Presse et le Moniteur m’ont fait des propositions fort honnêtes. — On m’a demandé un opéra-comique (comique ! comique !) et l’on a parlé de ma Bovary dans différentes feuilles grandes et petites. Voilà, chère Madame, et sans aucune modestie, le bilan de ma gloire. Rassurez-vous sur les critiques, ils me ménageront, car ils savent bien que jamais je ne marcherai dans leur ombre pour prendre leur place : ils seront, au contraire, charmants ; il est si doux de casser les vieux pots avec les nouvelles cruches !

Je vais donc reprendre ma pauvre vie si plate et tranquille, où les phrases sont des aventures et où je ne recueille d’autres fleurs que des métaphores. J’écrirai comme par le passé, pour le seul plaisir d’écrire, pour moi seul, sans aucune arrière-pensée d’argent ou de tapage. Apollon, sans doute, m’en tiendra compte, et j’arriverai peut-être un jour à produire une belle chose ! car tout cède, n’est-ce pas, à la continuité d’un sentiment énergique. Chaque rêve finit par trouver sa forme ; il y a des ondes pour toutes les soifs, de l’amour pour tous