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Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 4.djvu/18

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CORRESPONDANCE

Abstiens-toi. — L’honnête homme est celui qui ne s’étonne de rien. » (Ce n’est pas moi qui suis l’honnête homme, car je m’étonne de bien des choses !) En suivant ces idées-là, on est ferme dans la vie et dans l’Art. Ne sens-tu pas que tout se dissout maintenant par le relâchement, par l’élément humide, par les larmes, par le bavardage, par le laitage. La littérature contemporaine est noyée […]. Il nous faut à tous prendre du fer pour nous faire passer les chloroses gothiques que Rousseau, Chateaubriand et Lamartine nous ont transmises.

Le succès de Badinguet s’explique par là. Il s’est résumé, celui-là. Il n’a pas perdu ses forces en petites actions divergentes de son but. Il a été comme un boulet de canon pesant et roulé en boule. Puis il a éclaté tout d’un coup et l’on a tremblé. Si le père Hugo l’eût imité, il eût pu faire en poésie ce que l’autre avait fait en politique, une chose des plus originales. Mais non, il s’est emporté en criailleries. La passion nous perd tous.

À propos, il me semble que je t’ai remis, à mon dernier voyage, ses lettres. Je te rapporterai celles de Musset, mais il m’est impossible de retrouver celles de Gagne. Je te renvoie le billet de Béranger et les vers de Vigny, de peur de les perdre. Quel style de bottier que celui de l’Horace français ! Votre demoiselle, pour dire votre fille ! Comme ces gaillards-là sont nativement canailles !

Tu m’as envoyé ce matin une très belle pensée « ô humanité que tu me dégoûtes ! » Je vois que tu fais des progrès en philosophie. Je ne saurais que t’en applaudir.

Adieu, je t’embrasse.

À toi. G.