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CORRESPONDANCE

ce qui me tombe sous les yeux, en reparcourant les malencontreuses pages : les poings de fer du besoin, les ardents feux du four, sordides haillons, la saison où la nature sourit à l’homme, le spectacle de leurs travaux, le spectacle de ces misères, les lignes harmonieuses de son profil (genre artiste !), une manie imperceptible de sentiment qui touche un cœur, les plus malheureux ne sont pas les malheureux du travail !!!, faisant un pénible effort, une obole à la pauvreté, etc., etc., ternir l’image qui vivra, etc.

Tout cela est d’un piètre langage, parce que le fond est banal. Telle idée, tel style ! Si tu as besoin que Louise s’émeuve, montre de la pitié, tâche de trouver quelque chose de plus saisissant et de plus court.

2o L’incroyable docteur !

Ah ! Celui-là est folichon ! Où diable as-tu vu qu’il en existât de pareils ? Tu vas me répondre par un nom propre ; je connais ton modèle physiquement, n’est-ce pas ? Mais là s’arrête la vérité. Un médecin de campagne ainsi bâti, miséricorde ! Un docteur, à Trouville ! Un docteur fin, un peu gouailleur, philanthrope, agronome, et revenu du fracas des cités ! Voilà de la fantaisie ou je ne m’y connais pas. Jamais un pareil mortel n’a existé, d’abord ; et en second lieu, jamais il n’a existé dans un village. La vérité vraie est que ton médecin, celui-là, dans ce milieu-là, doit admirer les gens riches avec qui il cause, et être de leur avis. Il est d’ailleurs trop doux, trop poli, il marche sur la pointe des pieds (p. 145) dans la chambre d’un malade (attention que je n’ai jamais vu pratiquer