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CORRESPONDANCE

ladies à la campagne qu’à Paris (la Normandie est pleine de cancers, il doit savoir cela). Puis le voilà qui blague les salons et les clubs. La tournure « qu’il coure aux champs surveiller les laboureurs » aurait un accessit d’amplification française au collège, c’est vrai, mais ce n’est pas mon ami Feydeau qui doit se servir de ces choses-là. « Il est défendu de déposer le long de ce mur, etc. » ; tu me gâtes ton édifice, misérable ! Tu pollues ton roman ! Tu souilles ta plume ! Le tableau de l’homme des champs est du Delille. Non ! ma parole ! J’écume de colère ! « Retourner au gîte », « la cloche du village » ! et rien n’y manque, c’est complet ! Les émotions tendres succèdent aux considérations économiques. Voilà les vieux serviteurs qui viennent après les usines. Les serviteurs d’un médecin de campagne !

Si le « comte était touché », il était sensible, franchement !

Bref, je trouve tout ce passage exécrable. Tu flattes les plus basses manies de la roture intellectuelle, toute la nauséabonde tribu des soi-disant penseurs, philanthropes, socialistes, etc., les gars du Siècle, que sais-je ?

Si tu as voulu faire de ton docteur un personnage ridicule (que Daniel, par la suite, doit contredire) tu as réussi ; mais la plaisanterie dure trop longtemps et je ne vois pas l’effet que Daniel plus tard pourra en tirer. Il nous est fort indifférent de savoir les opinions de ce monsieur, qui n’ont rien de drôle. On ne s’intéresse qu’à son histoire, penses-y donc, à tes amoureux.

Enfin, je te supplie à deux genoux, à mains jointes, par tout ce qu’il y a de plus sacré, de me supprimer ce chapitre-là, héroïquement.