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CORRESPONDANCE

cidément une boule de vieille garce fort excitante.

En chemin de fer, je me suis trouvé avec trois gaillards qui allaient à la campagne, pêcher, boire et s’amuser. J’ai envié ces drôles, car je sens un grand besoin d’amusement. Me voilà devenu assez vieux pour envier la gaieté des autres. Harassé de style et de combinaisons échouées, il me faudrait par moments des distractions violentes ; mais celles qui me seraient bonnes sont trop chères et trop loin. C’est surtout dans les moments où je saigne par l’orgueil que je sens grouiller en moi, comme une compagnie de crapauds, un tas de convoitises vivaces.

Je viens de passer deux mois atroces et dont je garderai longtemps le souvenir. Avant-hier soir et hier tout l’après-midi je n’ai fait que dormir. Aujourd’hui j’ai repris la besogne. Il me semble que ça va marcher. J’aurai fait demain une page. Il faut que je change de manière d’écrire si je veux continuer à vivre, et de façon de style si je veux rendre ce livre lisible. Au mois de mai j’espère avoir fait un grand pas et, dès juillet ou août, je me mettrai sans doute à chercher un logement (grave affaire), afin que tout soit prêt au mois d’octobre. Il faudra bien trois mois pour meubler trois pièces, puisqu’on en a mis deux à m’en meubler ici une seule.

Je tiens beaucoup à ces futilités indignes d’un homme. Futilités soit, mais commodités, « et qui adoucissent l’amertume de la vie », comme dit M. de Voltaire. Nous ne vivons que par l’extérieur des choses ; il le faut donc soigner. Je déclare quant à moi que le physique l’emporte sur le