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Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 4.djvu/364

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CORRESPONDANCE

quatre pattes et nous broutons de l’herbe, malgré les ballons. Il y a des gens qui peignent l’infini en bleu, d’autres en noir. L’idée que le catholicisme se fait de Dieu n’est-elle pas celle d’un monarque oriental entouré de sa cour ? La pensée religieuse est en retard de plusieurs siècles. Ainsi du reste.

Un temps viendra où l’on ne cherchera plus le bonheur — ce qui ne sera pas un progrès, mais l’humanité sera plus tranquille.

Savez-vous encore ce qui vous nuit ? C’est que vous vous perdez dans mille petites choses accessoires. Vous faites dans votre vie comme je fais dans mes œuvres. Vous négligez les premiers plans pour les lointains, cela est un défaut de raison. Vous êtes libre, rien ne vous retient et tout vous retient. Quand on vous indique un remède, vous objectez votre santé ; mais le seul moyen de guérir, c’est de se considérer comme guéri. Les gens qui veulent guérir guérissent, demandez cela aux chirurgiens. — Ainsi vous me dites qu’un séjour à Paris, dans l’hiver, vous ferait du mal. — Pourquoi ? Essayez !

Quand je suis parti pour l’Orient (où j’ai voyagé pendant deux ans), j’avais le cœur arraché ; mais comme je m’étais juré de partir, je suis parti et j’en suis revenu.

La fable du Chariot embourbé est d’une bonne morale, allez !

Un peu de courage, voyons, n’aimez pas votre douleur, et quand vous serez trop triste, écrivez-moi, car j’ai pour vous un sentiment très profond et très tendre.

Mille bonnes cordialités.