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Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 4.djvu/56

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CORRESPONDANCE

465. À LOUISE COLET.
[Croisset] Mardi soir [4 avril 1854].

Celle-ci ne compte pas ; c’est pour savoir seulement comment tu vas. Bouilhet, au reste, m’a donné de tes nouvelles. Il m’a dit que tu étais souffrante, mais que tu n’avais rien de sérieux. Je ne sais si c’est une sympathie de nos organes, mais il me pousse, au même endroit que toi, un clou qui, s’il ne rentre pas, sera monstre ! Chou colossal ! Orgueil de la Chine ! Arbos sancta ! J’ai été depuis vendredi dans un état affreux d’ennui et d’affaissement, résultat d’un passage dont je ne pouvais venir à bout. Il est, Dieu merci, passé depuis ce soir. Ce livre m’éreinte ; j’y use le reste de ma jeunesse. Tant pis, il faut qu’il se fasse. La vocation, grotesque ou sublime, doit se suivre. Tu parles de ma quiétude. On n’a jamais parlé de rien de plus fantastique. Moi de la quiétude ! Hélas ! non ! Personne n’est plus troublé, tourmenté, agité, ravagé. Je ne passe pas deux jours ni deux heures de suite dans le même état. Je me ronge de projets, de désirs, de chimères, sans compter la grande et incessante chimère de l’Art qui bombe son dos et montre ses dents d’une façon de plus en plus formidable et impossible. D’ailleurs ces premiers beaux jours me navrent. Je suis malade de la maladie de l’Espagne. Il me prend des mélancolies sanguines et physiques de m’en aller, botté et éperonné, par de bonnes vieilles routes toutes pleines de soleil et de sen-